Si vous allez au cabinet photographique, sur la place du Gros-Chêne dans le quartier rennais de Maurepas, vous verrez sans doute à travers la vitrine un présentoir sur lequel sont disposés des visages, des portraits plus exactement : « Le tourniquet des rencontres ».
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C’est le tourbillon de la vie, incarné par un objet métallique. Et c’est à travers lui que le photographe Jacques Domeau avait fondé le lieu et la pratique photographique qu’il y développait.
L’objet exprime tout à la fois le foisonnement et le mystère des rencontres. Tous ces portraits disposés les uns à côté des autres qui, dans un mouvement aléatoire ou magique, croisent leur destinée. Il est une métaphore parfaite du cabinet photographique, un lieu de rencontre où se mêlent et tourbillonnent les destins d’êtres venus de toute part, des quatre coins du quartier, du monde ou de l’esprit.
C’est cette œuvre simple, à première vue anodine, mais profondément humaine que poursuit aujourd’hui l’Association Un Cabinet Photographique de Maurepas.
Pascal Lesage ouvre chaque jour la porte du local. Ami de Jacques, il a participé à toutes les étapes du développement du cabinet photographique. Un être de
liens, accompagné par quelques autres, Mireille, Dominique, Corentin, Neven, Ilhem … Ils permettent ainsi aux voyageurs du quartier comme aux associations qui y travaillent, de s’arrêter, de prendre un café, de discuter et de se rencontrer parfois.
Je poursuis aujourd’hui aux côtés de Pascal ce travail de portrait.
C’est le même mouvement d’origine qui m’anime : la rencontre. Ce besoin vital a fondé mon envie de photographier. Voir, à travers les regards, les fractures et les doutes, scintiller la lumière de toute humanité.
Pascal se saisit des êtres d’émulsion, les plonge dans un subtil mélange d’ammonium ferrique et de ferricyanure de potassium. Une poétique du cyanotype d’où surgissent et se révèlent nos portraits.
Regards et corps teintés de bleus évanescents ou profonds. Poussières, plumes d’ange, encapsulées dans la matière comme autant de signes d’âmes et de mystères.
La photographie n’est pas une fin ici. C’est un moyen d’œuvrer, de partager, d’aimer et ainsi, d’accroître la vie…
Démarche et intentions
Commencé en janvier 2020, ce projet prolonge et approfondit de nombreuses expériences qui m’ont conduit à m’intéresser à travers ma pratique de photo-
journaliste et d’auteur à la notion d’identité, celle des territoires et des communautés.Plusieurs projets menés à Rennes sur ces questions, en particulier Exils – Dans la Lumière ( un studio posé pendant 12 mois dans un lieu d’habitat éphémère à
Rennes accueillant des exilés, projet mené conjointement avec le laboratoire Eso de Sciences sociales de l’Université Rennes 2 ), et au centre chorégraphique de Rennes sur le projet Déplaces explorent chacun à leur manière ces questions.Ma démarche est de créer à travers un « rituel photographique» très simple, le studio, un espace de rencontre et d’écoute, un lieu d’exploration, pour la personne photographiée comme pour moi-même. À travers ce moment de photographie, intime, au cœur du quartier, pour les gens de Maurepas, ce qui prime pour moi est la mise en place d’un lieu qui crée du lien et du sens.
Un lieu dans lequel s’instaure à nouveau une forme de rituel de communication et d’échanges au sein de la communauté. Un lieu qui permette aussi de revisiter ce rituel du portrait « pour la postérité » au temps du selfie et de l’instantané.
Une autre étape du processus est celle du partage. Car plutôt que de saisir une image, de prendre une photographie, notre choix est ici de pouvoir en donner une. Ce moment de partage déclenche souvent un temps d’échanges et de réflexion.
Le tirage, effectué par Pascal Lesage, est donc offert à la personne photographiée. Le procédé de tirage utilisé, le cyanotype, gomme certaines informations de l’image qui se charge ainsi d’un mystère plus grand.
Au-delà des possibilités ouvertes par ce rituel photographique, le silence du studio et le temps de partage qui lui succède, nourrissent – et parfois déclenchent – une réflexion sur sa propre identité. On découvre dans les
profondeurs de la matière photographique ses propres catégories, ses empêchements. Mais le portrait balade aussi sur nos rétines, comme sur celles des personnes photographiées, la part essentielle, unique et jaillissante de nos existences. Et c’est comme échapper à travers la photographie, et de manière un peu paradoxale, aux cadres et aux parois réductrices du bocal de nos vies…Blues Portrait est en somme une «sonde photographique». Elle voyage dans le quartier et parfois dans les âmes. Elle ouvre un espace de connaissance et de
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reconnaissance, de création et de re-création de soi.
Voilà ce qui sans doute constitue pour moi le sens fondamental de ce travail photographique.